vendredi 1 décembre 2006

La laïcité aujourd’hui

D’après Laïcité, la croix et la bannière, Alain SIMON, Jean-Michel REYNAUD


Dans la crise sociale et identitaire que traverse la France (exacerbation des communautarismes, panne de l’ascenseur social, violence latente, affaiblissement des libertés individuelles fondamentales sous couvert de « sécurité », etc.), le principe de laïcité doit être replacé dans toute son actualité dans le débat présidentiel. Les positions hasardeuses et inquiétantes de Nicolas SARKOSY, doivent être dénoncées.

1-     La laïcité, principe fondateur de la République

La laïcité, pilier de la République
Le concept de laïcité trouve son origine à travers trois grandes ruptures de l’Histoire de France : Ancien Régime / Révolution, lois Ferry de 1881 et 1882, la loi 1905. La laïcité est alors conçue comme « un des piliers de notre République… le ciment social de vivre ensemble ». « En plaçant l’espace public au-dessus des partis et des clans, elle met l’accent sur ce qui rapproche les citoyens et non sur ce qui les sépare. » (P.14). C’est la liberté de conscience qui prévaut. Ainsi, la laïcité qui impose le respect de toutes les pratiques sans en privilégier aucune, est une garantie d’universalisme de la société républicaine.

La laïcité et la liberté individuelle

L’individu, qui devient « individu-citoyen qui sait qu’il n’y a de savoir-vivre collectif que dans la confrontation librement débattue de convictions individuelles » (P.152), est placé au cœur de l’organisation sociale et des préoccupations sociétales.

Laïcité, émancipation et socialisme

La laïcité suppose également « une aptitude permanente à tirer des leçons de l’histoire les éléments de construction d’un présent acceptable et d’un futur qui conserve sa place au rêve. » (P.152). La laïcité est un « cheminement de la libéralisation des consciences qui a accompagné celui de la libération des hommes » (P.157) : elle est un moyen de « fortifier la République » (P.90).

La laicité et les positions de Ségolène Royal : la laïcité reste l’une des clefs de la « République du respect » que SR appelle de ses vœux. Il s’agit en réalité de rétablir la « République du respect » et de rétablir le respect de la laicité avec la fermeté des premiers temps de la Loi de 1905. « Garder une révolte intacte au cœur », c’est se ménager des espaces de liberté pour l’avenir (des « désirs d’avenir »), se permettre de refuser, de réfuter, de critiquer les dogmes de toutes sortes pour choisir librement son destin.


2-     La laïcité et l’école

Historiquement, le principe de laïcité s’est appliqué à l’école. Les lois Ferry ont joué un véritable rôle de catalyseur dans la conception et l’adoption de la loi 1905. La laïcité garantit la liberté absolue de conscience des individus à condition que soit suscitée dans les esprits, et en particulier dans les jeunes esprits « l’habitude même de la raison et de la vérité » (Jean Jaurès, P.83).

D’autre part, la loi 1905 apporte un éclairage nouveau sur les objectifs de l’éducation. « Le but de l’école républicaine est moins d’adapter les élèves à la société telle qu’elle est, que de les en émanciper pour qu’ils puissent, à terme, la transformer. » (P. 37). En plaçant « l’école laïque au cœur du dispositif républicain » (P. 37), l’émancipation intellectuelle de l’individu devient alors une réalité, ainsi que le développement de « toutes les potentialités de l’enfant, en faisant jouer le plus possible sa raison, son esprit critique, et non pas en lui imposant quelque dogme que ce soit. » (P.32).

Nicolas Sarkozy et la laïcité : Nicolas Sarkozy est ministre des cultes et, bien qu’il se soit proclamé défenseur de la laïcité, ses convictions sur la question sont pour le moins douteuses. Lorsque le ministre des cultes dit « qu’est-ce que quelqu’un qui croit sinon quelqu’un qui espère ? », il défend la religiosité, la spiritualité contre les opinions athées ou matérialistes. Ses revirements sur les questions communautaires (prise en compte de l’origine ethnique dans les statistiques officielles, discrimination positive, etc.) discréditent son discours aux yeux des républicains authentiques.

Enfin, l’école laïque induit une école mixte et neutre et de ce fait, « l’école est un lieu d’intégration et d’égalité » (Catherine Kintzler, P.37). Le débat sur l’école et plus largement l’éducation, doit rester un débat de fond, qui s’attache à incarner les valeurs laïques, et par extension les processus d’intégration et de formation de l’individu-citoyen.

3-     La laïcité et l’Europe

La loi 1905 affiche clairement l’exception française, non seulement en Europe, mais également à travers le monde. A ceux qui prônent l’excellence du modèle libéral américain, rappelons simplement que « la séparation de l’Etat avec la religion n’est pas une réalité aux Etats-Unis », dans le sens où « les Eglises [sont libérées] de toute ingérence étatique pour leur donner pleine liberté d’agir sur la nation » (P.35). En matière de construction européenne, « on est loin, très loin, du modèle français qui reste un modèle isolé et menacé par le processus d’intégration » (P.132).

En continuant à considérer la laïcité comme une composante culturelle française et non comme un principe fondateur de l’Etat, le risque de « pilarité » (P.134) est grand. En d’autres termes, face aux « piliers » religieux, s’opposerait le « pilier » laïc. Il convient de mettre en regard ce risque avec la situation symptomatique de la Belgique et des Pays-Bas, tous deux adeptes de ce système : ces pays voient en effet une montée des extrêmes portée par une communautarisation  forte de leur de leur société. On parle de « pilarisation » de la société, dans le sens où chaque communauté détient une certaine emprise sur l’individu, ce dernier se définissant et existant principalement  à travers celle à laquelle il appartient.

« La laïcité républicaine est(-elle) compatible ou non avec la construction européenne ». « Une Europe laïque ne serait donc ni française, ni allemande, ni sociale-démocrate, ni catholique, mais tout simplement républicaine » (P.148). L’avenir de la laïcité dans une Union dominée par les pays où la religion, et le christianisme en particulier, jouent un rôle important, ne laisse pas d’inquiéter.

4-     Perspectives d’avenir grâce à la laïcité

La cause des femmes
La cause des femmes est capitale pour construire une société laïque. Elles sont les pièces maîtresses du dispositif social car « Celui qui tient la femme, celui-là tient tout. D’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari. C’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme et c’est pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève sous peine de mort. » (P.31, Jules Ferry).
           
            La laïcité, condition de la paix civile demain
La laïcité, comme principe au dessus des dogmes,  doit permettre l’accès à tous les citoyens, sans aucune distinction,  aux droits civiques les plus élémentaires (par exemple « divorce… mariage… suicide volontairement assisté », P.166). Les individus citoyens doivent pouvoir jouir de leur « liberté absolue de conscience ». Parallèlement à cela, l’Etat doit être en mesure de proposer une « déontologie laïque », une théorie des devoirs et aussi une pratique claire des comportements », qui mettent en avant la laïcité comme « condition première de l’organisation sociale dans le respect des consciences, de toutes les consciences ». Alors que les communautarismes s’imposent, que le religieux devient un déterminant majeur des relations internationales et par l’immigration, crée des lignes de tension au cœur du territoire et de l’opinion, la laicité apparaît comme une richesse pour la France, une garantie de la paix civile.

5-     Questions en suspens

L’Alsace Moselle est encore sous le régime du concordat. Ce qui signifie outre la subvention de l’Etat aux cultes reconnus que sont ceux de l’Eglise catholique, les Eglises protestantes Ecaal et Eral, et israèlite, l’existence d’un « droit local », l’enseignement obligatoire de la religion, et autres entorses à la loi 1905. On notera en particulier que l’Islam n’est pas une religion « reconnue » dans cette partie de la République. Ainsi, les communautés musulmanes se constituent sous le régime des associations de droit local. Ce régime juridique particulier pose problème, dans le sens où les principes liés à la loi 1905 évoqués plus haut, ne sont pas intégrés au fonctionnement social de l’Alsace Moselle. C’est le commencement de la désintégration, au sens propre comme au sens figuré. Néanmoins, il ne s’agit pas simplement de reconnaître le culte musulman, ou encore de supprimer l’enseignement de la religion dans les établissements scolaires publics. Il faut aller plus loin et que l’Etat applique la loi républicaine, et défende « la frontière dont il a la charge… celle de la libéralisation des consciences » (P.72), notamment dans le domaine de l’éducation.

Dans les DOM-TOM, nous faisons face à une problématique similaire. A Wallis et Futuna, c’est l’église catholique qui est officiellement chargée de l’enseignement. En Guyane, seul le culte catholique est reconnu et financé par le département. Enfin c’est à Mayotte où l’exception se fait la plus flagrante. En effet, le préfet nomme le muphti (principale autorité religieuse) et les cadis (juges) chargés d'appliquer le droit musulman en vigueur pour ce qui concerne le statut personnel. Les principes qui prévalent sont ceux de l'« organisation de la justice indigène », la Charia (loi islamique) y régit donc la vie civile. Il n’est pas acceptable que l'illettrisme en français touche 35% des hommes et 40% des femmes, alors que l’arabe, enseigné dans les écoles coraniques, ne connaît pas de tels chiffres. Les identités doivent s’affirmer, au sein d’une République qui en est la garante. Mais les diversités ne doivent pas prendre le pas sur la République (le droit à la différence ne doit pas devenir la différence des droits). On ne peut pas prétendre à la fois valoriser l’outre mer et délibérément admettre l’inexistence de la loi 1905 et des valeurs qui en découlent, sur ces territoires. Car en refusant l’alignement des DOM-TOM, et en particulier à Mayotte, c’est la négation de l’ensemble du modèle français d’intégration qui est en jeu, modèle d’intégration qui rappelons-le « permet à tous d’accéder à une égalité des droits et des devoirs permettrant à chacun de conserver son particularisme aussi spécifique soit-il dès lors que sont respectées les lois de la République et les règles de la vie sociale » (P.158).


            VI Conclusion

            Prétendre opérer une rupture tranquille, s’apparente vraisemblablement à distiller l’opium du peuple, en particulier là où les problèmes semblent insolvables. Le cœur de notre action se situe donc dans la défense et le renforcement de la loi 1905, à travers laquelle se justifient les idéaux de liberté de l’individu, d’égalité de tous les citoyens, et de fraternité entre les individus-citoyens.