jeudi 1 février 2007

La VIème République

D'après La VIème République ou la confusion des esprits, Pascal Clément)


            A droite comme à gauche, nos institutions apparaissent clairement comme la clé de voûte d’un système permettant de concevoir et mettre en œuvre des réformes profondes. Mais c’est bien l’exploitation et le maniement de celles-ci qui diffèrent fondamentalement de part et d’autre de l’échiquier politique.
            Il s’agit ici, à travers l’étude du livre de Pascal Clément, ministre de la justice du gouvernement Villepin, d’exposer l’idée que se fait la droite des institutions idéales, incarnées par la Vème République.


1.     L’Etat

            L’Etat français doit être un état fort, en mesure de garantir à tous ses citoyens les moyens d’un développement social, économique et culturel prospères, tout en assurant les valeurs essentielles que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Il semble cependant, que le rôle de l’Etat selon la droite se limite à assumer les fonctions régaliennes minimales. Clément révèle ces objectifs, lorsqu’il s’exprime en ces termes : « C’est bien là le plus grand péril de notre démocratie que de rechercher en permanence le maternage et la protection d’un état qui peut assumer ses missions, mais qui ne peut assumer celles qui relèvent de la sphère privée ». Il va même plus loin, en fourvoyant les valeurs identitaires du peuple français : « L’Etat peut faire appel à la solidarité, et à l’expérience des français, mais il ne peut s’y substituer, dans le domaine de l’insertion professionnelle comme dans les autres ».

Ces assertions illustrent le trait principal du programme proposé par la droite : la fin de l’Etat-providence par l’avènement d’un système de type Etat-gendarme, ne conservant que les attributions propres à l’Etat.

            La décentralisation
Dans le contexte actuel, le jacobinisme n’a plus sa place. Des organisations souples et adaptées aux spécificités de chaque région sont à mettre en place, afin d’exploiter au mieux leurs compétences propres. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de mettre en place ce vaste chantier.
A la différence de la gauche, qui propose un système de péréquation régulé, la droite affirme sans aucune ambiguïté « on ne peut nier que la décentralisation fasse émerger des différences de traitement ». Avant d’ajouter : « il existe tant de systèmes de péréquation financière que la solidarité entre collectivités locales n’est pas un vain mot ».

La logique est claire : l’Etat se décharge des fonctions les plus coûteuses et les moins rentables sous couvert de décentralisation, la solidarité entre régions est laissée à l’appréciation de chacune d’entre elles, sans directives précises.

            La politique aujourd’hui
            L’idée de Pascal Clément, d’une politique qui consiste à « fixer un cap, celui qui consiste à construire une société plus prospère dans la mondialisation, une société fière de ses valeurs, et prête à aller de l’avant », ne répond pas à l’objectif premier aujourd’hui : réconcilier les français avec la politique. Bien sûr, historiquement, nous sommes un peuple qui avance parce qu’un Homme nous insuffle une ambition, nous porte vers de nobles idéaux.

Mais il n’est de cap sans confiance, sans un vouloir vivre ensemble proclamé. Il est de notre devoir d’hommes et de femmes de gauche, de faire comprendre que la droite ne se donne pas les moyens de son ambition politique.

            De même, nous ne pouvons que combattre avec plus d’ardeur un parti qui affirme que « toutes les difficultés que nous pouvons connaître, la lutte pour l’emploi, la réduction des déficits publics, le maintien de notre compétitivité, la défense du rang de la France dans le monde ont des solutions qui ne se trouvent que dans les valeurs travail, du mérite et de l’effort. C’est la seule voie du succès ». Peut-on évoquer un quelconque succès dès lors que les libertés individuelles et parfois collectives sont mises à mal, que les inégalités se creusent, que le lien social est rompu ? Définitivement non.
            Naturellement, nous socialistes, nous nous accordons avec Clément sur le fait que l’Etat « ne peut se substituer efficacement à l’initiative individuelle qui dépend de chacun d’entre nous ». Mais nous ne souhaitons pas simplement que « L’Etat [puisse] initier, soutenir, protéger » de manière aléatoire.

Nous avons en effet la conviction qu’initier, soutenir et protéger, relèvent du devoir même de l’Etat, quelles que soient les circonstances. Remettre en cause ce devoir, c’est briser le contrat politique qui lie le citoyen et la République.


2.     Le Président de la République

A lire Pascal Clément, le rôle du président de la République version Vème République ne doit être remis en cause à aucun niveau, que ce soit dans ses relations avec les différentes entités (gouvernement, parlement, conseils), comme dans ses attributs (nominations, présidence du CSM, « monarque » seul habilité à arbitrer la vie politique…). Le président de la République devrait alors se contenter de porter les grandes lignes de la politique du pays, en l’occurrence, si Mr Sarkozy est élu, la rupture ainsi définie : « une volonté politique, un élan national permettant de rompre avec la sinistrose par un renouvellement des projets, des pratiques et des hommes ». Noble position, s’il n’était ajouté « Encore faut-il pour cela être capable de mener des réformes, et donc, de revivifier notre démocratie sociale ».
           
Quelles méthodes pour quelles réformes ?
D’une part, par un « président de la République [qui] fixe les grandes lignes, et [un] Premier Ministre [qui] met en musique l’action gouvernementale ». Derrière ces grands principes, se cache l’idée que le président dispose de son Premier Ministre afin de calmer les esprits retissant à la réforme. Le fusible ainsi remplacé, « le Président continue à s’occuper de l’essentiel, et le Premier Ministre du « quotidien », de l’événement ».
D’autre part, par une action politique qui n’est remise en cause par aucune chambre. Certes Clément n’est pas défavorable à ce que le président prenne ses responsabilités devant la représentation nationale, tout en considérant que « cela ne serait compatible avec l’esprit de nos institutions qu’à condition que les groupes parlementaires n’y répondent pas ». Il ajoute : « Le président peut s’exprimer devant le parlement, mais ce n’est pas son rôle de rentrer dans un débat parlementaire, qui est de la compétence du Premier ministre, qui peut engager devant lui sa responsabilité, et qui doit démissionner si le Parlement lui refuse sa confiance ».

De par l’adoption du quinquennat, nous venons d’entrer dans l’ère de type « gouvernement présidentiel ». Et un Président de la République affranchi de toute responsabilité est incompatible avec un « gouvernement présidentiel », avec ou sans Premier Ministre fusible. Il en va du maintien de notre démocratie et de la souveraineté du peuple.

            Ce positionnement est d’autant plus inquiétant que la droite ne compte pas remettre en cause les pouvoirs de nomination du Président, ni sa présidence du CSM. Clément justifie cette présence de la manière suivante : « [elle] donne une légitimité aux magistrats qui ne sont pas élus au suffrage universel et ne sauraient rendre la justice au nom du peuple français s’ils n’étaient pas nommés par celui qui a été désigné par le peuple ». Cet argument ne peut être entendu, dès lors que le bon fonctionnement d’un système politique démocratique est assuré en premier lieu par la séparation des pouvoirs. Enfin, en ce qui concerne le pouvoir de nomination au sein des différents conseils, en particulier le Conseil Constitutionnel, le manque de transparence et le refus d’intégrer des choix de parlementaires est un pas de plus vers un certain autoritarisme du chef de l’Etat.
           
A travers le rôle du chef de l’Etat, c’est toute la stratégie politique de la droite qui se révèle. Il s’agit de verrouiller les possibilités de contrôle de l’action présidentielle, action destinée à réformer envers et contre toute opposition. Pour nous socialistes, ceci est doublement inacceptable, car nous croyons aux réformes par le dialogue, et ne nous résignerons pas à subir des réformes neo-libérales.


3.     L’Assemblée Nationale

Le risque majeur d’une VIème République, souligné par ses détracteurs, est un retour aux impasses politiques de la IVème République. Clément ne manque pas de le souligner : « C’est bien la première leçon de la IVème République que nous devons garder à l’esprit : un mauvais mode de scrutin conjugué à des règles constitutionnelles approximatives conduisent au délitement de l’Etat et au désespoir de tous les Français ». En outre, sans surprises et toujours dans une logique de passage en force des réformes, Clément se prononce contre la proportionnelle, contre le non-cumul des mandats, contre les périodes de cohabitation, contre l’abrogation du 49.3. Il va même plus loin en proposant d’aligner la procédure du recours au 49-3 à celle de dissolution de l’assemblée par le Président de la République.

Revaloriser le rôle du parlement et assurer une meilleure représentativité de la population, sans tomber dans l’immobilisme, est donc le défi que devra relever la réforme institutionnelle des socialistes. Il nous faudra particulièrement veiller à dégager des majorités nettes permettant de mettre en œuvre le programme politique que les français auront choisi, sans pour autant rendre impossible l’alternance et le débat.

Enfin, Clément est également favorable à l’augmentation du nombre de commissions permanentes, ainsi qu’à leur spécialisation en matière de contrôle et d’évaluation.

Le pouvoir de contrôle et d’évaluation des commissions permanentes ne doit pas primer sur le pouvoir législatif du parlement. Clément ne précise pas ce point, préférant certainement rapprocher le curseur du législatif vers celui de l’exécutif, au bénéfice du gouvernement.


4.     Le Sénat

Clément défend un Sénat représentant la diversité des français, au détriment du Parlement. Afin que soient principalement discutés les sujets économiques et sociaux, il propose d’élargir le corps des grands électeurs aux élus des chambres d’agriculture, des métiers, de commerces et d’industrie, aux conseils des prud’hommes, aux comités d’entreprises… A la différence du projet de 1969, auquel il s’avoue globalement favorable, il croit que « le Sénat doit conserver l’ensemble de ses attributions législatives et constitutionnelles ».
            Ces maigres réflexions ne font à aucun moment état des errements incarnés par le Sénat, tels que l’absence d’alternance,  le côté refuge pour fin de carrière politique, le droit de veto alourdissant les procédures, pour ne citer qu’eux. Autant dire que la droite n’est pas prête à remettre en cause cette anomalie dans la démocratie.


5.     La citoyenneté

Clément estime que les jurys citoyens, la démocratie participative, la proportionnelle, sont autant de gages d’instabilité et d’immobilisme. Au lieu de tenter une réconciliation entre les français et la politique, la droite rejette toute modernisation de la démocratie, et tout débat avec les citoyens. Clément va jusqu’à écrire : « En 2007-2008, les oppositions au nouveau président de la République, s’il est issu de l’UMP, seront très fortes, car chacun sait qu’il aura un mandat clair de réforme de l’état. Certains projets seront acceptés, soit par lassitude, soit par consensus. Ceux qui entraîneront des levées de boucliers syndicaux seront encore plus nombreux. Il faut s’y préparer, l’accepter, et prévoir de ne pas céder sur l’essentiel, c'est-à-dire les réformes structurelles, quitte à utiliser l’arme du référendum pour relégitimer le mandat de réforme. Il en ira de la crédibilité de nos institutions ».
De l’aveu même de la droite, il y a donc fort à parier que notre pays se dirige vers une paralysie générale si Mr Sarkozy accède à l’Elysée. A moins que ne soit rapidement votée la loi sur le service minimum, comme le suggère en ces termes le ministre de la justice : « Pour une raison obscure à laquelle il faudra un jour remédier, la liberté du travail a une valeur juridique inférieure au droit de grève dans notre pays ». Une fois de plus, l’opposition sera censurée, afin de faire passer sans négociation les réformes arbitrairement décidées par la droite.

Clément estime nécessaire une réforme du référendum de sorte qu’il traite des « sujets économiques et sociétaux, et non plus des sujets institutionnels ». Il se dit favorable au référendum d’initiative populaire, à condition que la responsabilité de poser la question aux électeurs n’incombe qu’au président de la République. Outre la déviance plébiscitaire (dont étrangement Clément se défend) de ce type de référendum, réformer ainsi le référendum apparaît comme un leurre démocratique. C’est une participation illusoire et passive à la vie démocratique qui est offerte aux citoyens. Au contraire, la révolution démocratique ne peut trouver son essence que dans la participation proactive des citoyens à la vie de leur nation.
De la même manière, ce n’est pas en considérant que le droit de vote est « la marque d’une appartenance à une collectivité nationale » que l’on génère des citoyens. Cette assertion exclut l’implication des résidents étrangers dans le débat démocratique, alors que la Res Publica doit se nourrir de toutes les diversités qui l’animent.

Clément ne manque pas de préciser qu’être citoyen, c’est avoir des droits et des devoirs, voulant même l’inscrire à la constitution. Cependant, être citoyen, c’est non seulement relever de l’autorité de l’Etat, mais aussi, et c’est là où le bas blesse à droite, de la protection de l’Etat.