samedi 1 avril 2006

LA FRANCE DANS LE MONDE : liberté, égalité, fraternité ?

            Voila bientôt 7 mois que je vis au Mexique, pays bien éloigné de la France, et ce a tout niveau. Cette expérience m’a permis de prendre du recul sur mon pays, et ainsi, de me rendre compte de certaines de nos caractéristiques. En effet, qui a-t-il de plus significatif que d’écouter des étrangers et d’être confronté à leur perception de notre pays, pour entamer une réflexion sur la France dans le monde.
            Je vais donc m’efforcer de retranscrire au mieux leurs impressions, tout en exposant ma réalité, a quelques jours de mon retour.

            « Je suis française », « la France », sont tout autant de phrases qui font briller les yeux des personnes que j’ai été amenée à rencontrer. Le critère récurrent est le suivant : le patrimoine historique et culturel français et surtout, les valeurs qui en découlent.
           
            La France, de par la culture et la diversité qui nous entoure à chaque coin de rue, fait rêver. De Lille à Marseille, de Rennes à Nice, de Bordeaux à Strasbourg, on découvre chaque fois un peu plus le visage cosmopolite de la France. Mais voilà, au lieu de s’émerveiller encore de cette richesse, d’en prendre conscience et de la faire perdurer, on se contente de vivre sa petite vie, de se renfermer dans un environnement qui rassure, de critiquer de manière non constructive son voisin, conduit par l’intolérance et la peur de l’autre, véhicules sans chauffeurs vers le communautarisme, le racisme et l’isolation. Que retient mon ami mexicain en surface de cette situation tourmentée ? Que la France pourrait se résumer par « liberté, égalité, fraternité », doux héritage utopiste de nos lumières.

            La liberté à la française, ce serait une plus grande autonomie de pensée pour chacun. Ce serait ne pas se conformer au moule traditionaliste et conservatiste, mais favoriser les idées et l’innovation. Ce serait vivre mon quotidien de manière responsable dans le respect de chacun et des lois. Ce serait  pouvoir choisir mon mode de vie, mon emploi, ma religion, mon orientation sexuelle, sans que quiconque n’y pose un regard accusateur.
De mon point de vue, cette vision est totalement erronée. L’autonomie de pensée tout d’abord. Oui nous avons le droit de manifester notre mécontentement. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe en ce moment même dans nos rues. Mais l’autonomie de pensée n’a de valeur que si les différents avis de chacun sont pris en compte, dans un désir de dialogue, de construction, et d’accomplissement commun.
Quant à favoriser les idées nouvelles, je nous trouve bien en retard par rapport à nos voisins européens, pour ne citer qu’eux. Prenons par exemple la recherche, fondamentale à tout développement. Les crédits alloués sont toujours plus faibles et la reconnaissance quasi nulle. Tétanisé par la peur du changement et de la prise de risque, le français préfère se contenter de vivre calmement et sans vague, sans se rendre compte que son manque d’implication dans l’avenir est en train de le faire entièrement régresser.
Les aspects « responsabilité/responsabilisation » et « respect » essentiels au concept de liberté sont eux aussi bien mal en point. Nous vivons dans un état ultra policé. Par exemple, sous couvert de notre sécurité, l’on se voit imposer des contrôles policiers de plus en plus fréquents et pratiquement injustifiés. Les français sont infantilisés, surveillés, et conditionnés, par un pouvoir que je n’ai pas peur de qualifier d’autoritaire. La crainte engendre nécessairement l’intolérance. Et qui dit intolérance, dit non respect de la différence. Alors non, Mr Sarkozy, je ne me sentirai pas plus en sécurité devant votre horde de CRS. Au contraire, je vais étouffer et me sentir attaquée et cernée par toutes ces ondes négatives de violence latente.
Enfin, ma liberté devrait se manifester par ma liberté de choix et d’actions. Or que vois-je ? Que le chômage des jeunes dans mon pays atteint des taux record aberrants pour un pays dit « riche ». Que si j’ai étudié à l’université pendant 5 ans, je n’ai bien souvent d’autre choix que d’accepter un travail en dessous de mes compétences, précaire et peu rémunéré. Mais il faut bien que je me nourrisse, que je paie mon loyer et rembourse mon prêt étudiant. Quand bien même je réussirais à trouver un emploi convenable, j’aurais dû au préalable passer une multitude d’examens sur ma personne et mes choix de vie (origine, religion, sexe, orientation sexuelle). Une fois rentrée dans mon entreprise, si je veux y rester, il me faudra rentrer sagement dans le moule, ne pas manifester mon mécontentement, mais plutôt me contenter de faire mon travail sans trop réfléchir au pourquoi, accepter les décisions du Top Management sans les questionner, et faire tout mon possible pour plaire à mes supérieurs qui sont susceptibles de me renvoyer sans motifs pendant 2 ans.

            Mon ami mexicain me répondra alors que certes, la liberté, ce n’est pas encore tout à fait ca, mais que l’inégalité n’est pas aussi frappante que dans son pays, ou 10% de la population détient 80% des richesses, où les indigènes sont mis à part de la population métisse, et où pour avoir accès à l’éducation il faut avoir de l’argent. Dans une moindre mesure, je retrouve en France les mêmes caractéristiques.
            Il existe encore une classe moyenne en France. Mais le fossé entre les classes sociales se creuse de plus en plus. Le cercle vicieux est enclenché, et je ne serais pas étonnée de nous retrouver dans une situation irréversible telle que celle du Mexique dans 50 ans, si l’on ne fait rien pour inverser la tendance. Nous voilà en France dans le culte de l’argent, l’argent roi, l’argent fou. Le tsunami néolibéral a envahi notre pays. Nous n’avons pas su tirer les conséquences positives qui pourraient découler d’une culture centrée sur l’individu. Oui les français sont individualistes, mais dans le mauvais sens. Je m’explique. L’individu en tant qu’entité a part entière doit être mis en exergue, afin de s’épanouir et s’accomplir de manière indépendante. Or le seul moyen d’accomplissement que nous valorisons est l’argent. Si bien que la tendance est complètement inversée car nous sommes devenus esclaves de ce moyen. L’individu, et donc l’humain à plus grande échelle, est réduit au rôle d’instrument, et l’argent devient la finalité.
            Ainsi, ceux qui sont incapables d’entrer dans le système, tout comme ceux qui ne sont pas assez productifs dans cette course à l’argent, sont marginalisés. Ils n’intéressent plus, et deviennent petit à petit des boulets pour la société. A quoi bon alors financer leurs retraites, leurs soins médicaux, l’éducation de leurs enfants ? Est-ce vraiment une situation mexicaine dont la France à besoin, ou 14% de la population ne participe pas à l’économie du pays car on ne leur en donne pas les moyens ?
            L’éducation d’ailleurs, parlons en. C’est le fondement de toute société, la base sur laquelle et à partir de laquelle il faut travailler. Or, pour ne parler que des études post bac, malgré la multitude de formations qui nous est proposée, les perspectives sont très minces. Il semble que pour réussir, seulement 2 solutions s’offrent aux jeunes. Premièrement, pour les étudiants brillants, intégrer nos fameuses grandes écoles. Nos formations d’excellence sont reconnues partout dans le monde et les étudiants sont quasiment certains de trouver un emploi à leur sortie d’école. Cependant, ce qui est regrettable, c’est le manque de conscience morale de nombre de ces étudiants, qui sous prétexte d’avoir sauvé leur peau, se permettent de se sentir supérieurs. L’éthique est une notion totalement absente de leurs formations. Ceci est catastrophique, étant donné les positions que ces personnes seront amenées à prendre dans le monde de l’entreprise. L’autre solution réservée à ceux dont les parents ont les moyens, consiste à intégrer une de ces nombreuses écoles de commerce ou de management qui fleurissent un peu partout. Véritable succursale de certaines entreprises ou secteurs d’activité, les étudiants issus de ce type d’écoles n’ont en général aucun mal à trouver du travail à leur sortie. La grande laissée pour compte de l’éducation secondaire en France ? L’université. La raison me saute aux yeux : elle est absolument déconnectée du monde de l’entreprise.

            Eh oui, mon ami mexicain, la France, ce n’est pas aussi jolie qu’une carte postale de la Tour Eiffel. Mais je ne t’ai pas encore parlé de la fraternité. Oui, je trouve ça beau, de se dire qu’un peuple peut être uni et regarder dans la même direction.
            Malheureusement, il me semble que la fraternité d’un peuple se construit autour du sentiment de citoyenneté. Et ce sentiment est totalement absent en France. D’aucun répondront que la culture Française est avant tout individualiste. Certes. Mais ce n’est pas parce qu’on est individualiste qu’il faut arrêter d’avoir une certaine conscience politique et une soif de développement pour son pays.

            Ce dernier point m’amène à la dernière partie de mon papier. Je ne vais pas me contenter de faire une simple critique de mon pays. Je voudrais aussi pouvoir y apporter des solutions, ou à défaut, des éléments de réflexions.
            L’urgence n’est pas au CPE, à la grippe aviaire ou à l’augmentation du prix des cigarettes. L’urgence est au dialogue et à la réflexion. Et c’est le rôle des politiques que de tout mettre en œuvre pour les instaurer, afin de définir ou redéfinir les attentes des citoyens, mettre en place un plan d’actions, et d’en évaluer régulièrement les résultats.
            En premier lieu, il faut élaborer précisément la vision de la France. En définissant clairement une vision pour le pays, les réformes seront entreprises suivant une ligne de conduite particulière, un chemin duquel il ne faudra pas dévier. D’autre part, une vision sert à unifier un peuple derrière des objectifs communs. Nous avons besoin de savoir où nous allons quand telle ou telle décision politique est prise. Quelle que soit notre origine, notre mode de vie, notre courant politique, nous avons besoin d’une vision, pour nous et les générations à venir. Sans cette base commune, nous ne retrouverons jamais un climat de confiance et de sérénité. Il y a 40 ans de ça, les jeunes avaient encore des rêves. C’est vrai, il faut l’admettre, ce qu’ils espéraient pour les années 2000 est loin de s’être réalisé. Mais aujourd’hui, nous n’avons même plus la foi de regarder devant nous, et la réalité nous accable sans que notre impuissance ne nous dérange.
            Parallèlement à la vision, c’est tout notre système de valeurs qu’il faut réétudier. Un peuple se caractérise par ses valeurs. Or aujourd’hui, elles n’existent plus, ou sont de vagues concepts qui différent d’un groupe a l’autre, et pourraient se résumer par une relation amour/haine avec l’argent, inversement proportionnel avec sa relation aux autres concitoyens du monde (je pense à moi donc je veux simplement gagner de l’argent, je pense aux autres donc je suis contre l’argent). Et sans valeur, il manque à un peuple une grande partie de son identité. Car oui, la France bénéficie d’une Histoire riche et d’un patrimoine qui fait rougir bien des pays, mais il serait temps de regarder l’avenir, et faire de notre passé une richesse pleine d’enseignements au lieu de s’y reposer.
            Il nous faut casser cette image du français qui n’aime pas travailler car il ne travaille que 35 heures et a 5 semaines de congés payés. Il ne faut plus avoir peur de se lancer des défis, en favorisant l’entreprenariat au dépends du patronnât. Il ne faut pas craindre de questionner le système social français pour le rendre plus efficace tout en en gardant la substance d’état providence. Il faut arrêter de se voiler la face et entreprendre de véritables réformes quant aux partenariats entre universités et entreprises dans un cadre réglementé, et dans un véritable souci d’égalité des chances.
            Tout ceci ne s’opérera pas en manifestant dans la rue, en brulant des voitures, en laissant s’installer une droite dure au pouvoir, en continuant à élire un président qui ne sait pas fédérer la nation. Il est urgent de commencer à changer les mentalités, sans quoi, mon ami mexicain n’aura plus rien à rêver que de vieilles cartes postales.

            Je continue à croire que la France est un grand pays, que son peuple est capable de se mobiliser et de se sentir appartenir a une nation forte. De nombreux pays, en particulier ceux d’Amérique Latine admirent la France. Nous devons avancer dans cette direction, faire renaitre les raisons de cette admiration qui, à mon sens, n’est pas injustifiée, à partir du moment où nous serons en mesure d’avoir une vision résolument tournée vers l’avenir et le développement, et des valeurs à vivre au quotidien et a transmettre.

Ce n’est pas un pari mais une construction au jour le jour.

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